La nana trop classe

Nous sommes dimanche soir, et comme d'hab (ou presque), je suis sur le quai, voie D, à Châteaucreux. Il doit être genre 19H50, il fait très chaud, et évidemment je suis en avance. Je dis "évidemment" parce que c'est un truc qui m'arrive rarement, donc forcément quand ça m'arrive, il faut que ce soit insupportable (jean épais, t-shirt noir et beaucoup trop de cheveux). Assis sur un banc, mon sac de 10 kilos posé par terre, j'en suis à optimiser tous mes mouvements pour transpirer le moins possible. C'est à cet instant qu'arrive la nana trop classe...

Elle émerge du quai d'en face. Elle n'arrive pas exactement en face de moi, mais environ 10 mètres sur la droite. C'est parfait parce que ça va me permettre de la regarder en faisant croire que je guette l'arrivée d'un train (note: tous les mecs font ça). En plus, comble du génial, j'ai des lunettes de soleil : je suis en mode camouflage optimal pour mater ! Finalement c'est pas si pourri d'être en avance...

Petite description physique et vestimentaire pour commencer. Brune, 1 mètre 60-65 (j'étais loin), assez fine et, allez, faut le dire, plutôt jolie (mais là encore j'étais loin). Une paire de chaussures hyper plates, genre ballerines mais avec des talons très fins d'un centimètre (le truc à la mode), noires et argent. Un pantacourt slim (ouais j'emploie des termes techniques et tout) noir, et un mini-short argent par dessus. Une ceinture noire et argent colossale - et je pèse mes mots - de 15 bons centimètres de hauteur. Une sorte de t-shirt très ample, tombant tout droit sous la poitrine, et cintré au niveau de la taille (serait-ce un pléonasme ?), là encore, couleur argent.

Elle est donc sur le quai, elle attend son train. Ce qui est fascinant, c'est que là où une personne normale se contente de tanguer légèrement, de sautiller un moment pour délasser ses mollets, ou de faire les cent pas, elle, elle pose. Tous ses mouvements sont calculés, au petit doigt près. Il y a la pose d'attente standard, jambes légèrement arquées, pieds en V, et mains posées sur les hanches. La pose du coup d'œil (pour guetter le train), penchée en avant et un peu cambrée, en appuie sur la jambe gauche, jambe droite en extension derrière, effleurant le sol de la pointe du pied. La classique, mais diablement efficace, pose de la cigarette : fermement campée sur les deux jambes, tenant sa clope entre l'index et le majeur, le bras épousant le côté du torse et l'avant-bras replié vers l'extérieur. Et je passe sur les (nombreuses) autres poses qu'elle adopte, toutes parfaitement maitrisées.

Évidemment, derrière mes lunettes noires, je ne rate pas une miette de la prestation - parce qu'à ce niveau, c'est bien une prestation. D'ailleurs j'arbore un léger rictus, sans savoir si je me fous de sa gueule ou si j'apprécie réellement le spectacle. Cette nana se la pète comme personne, c'est clair, mais elle le fait bien.

L'autre paramètre important de la scène, c'est cette foutue chaleur. Et fringuée comme elle l'est, elle la subit beaucoup plus que n'importe qui. Pas de panique cependant, elle gère la situation avec autant de retenue que possible, tentant de faire circuler l'air sous son t-shirt en le secouant frénétiquement, ayant prit soin auparavant de vérifier que personne ne l'observait. Il est d'ailleurs possible qu'elle m'ait repairé à ce moment là, mais qu'importe, je suis bien planqué derrière mes lunettes. Mon rictus s'est transformé en un franc sourire, sauf que cette fois c'est sûr, je me fous de sa gueule (mais c'est pour ça que je la kiffe). Elle, de son côté, essaye de percer la noirceur de mes verres, mais pas trop franchement, histoire de ne pas trancher avec l'attitude incroyablement sophistiquée qu'elle affiche depuis le début, attitude qui lui va comme un gant.

Finalement, le train de 20H18 l'ôte à ma vue. Si jamais je la revois un jour, il faudra vraiment que j'aille lui dire : t'es trop classe !

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