République made in China

Bon ça, c'est fait. Le Conseil constitutionnel a bel et bien validé l'article 4 de la LOPPSI. Mesdames et messieurs, soyez rassurés. Ce bout le loi tout mignon devrait vous protéger — vous et vos enfants — de la pédopornographie. Sur le Net j'entends. Ou seulement sur le Net français. Enfin pas totalement, mais presque. Non ?

tornad3 CC By-Sa

Article 4

Même à moi et mes vagues notions de droit, cet article 4 semble on ne peut plus simple à appréhender. Je m'en vais donc vous rappeler brièvement ses objectifs et les mesures qu'il préconise. Je ferai cela dans mes propres termes qui, je l'espère, sont assez justes (mais pas neutres).

L'objectif de l'article est de protéger les internautes français contre les images et représentations de mineurs à caractère pornographique. Et c'est tout. C'est simple, clair, et tout à fait louable.

Pour ce faire, il prévoit de bloquer l'accès aux sites diffusant du contenu pédopornographique. La liste noire des sites illégaux sera tenue par une administration sous la direction du ministre de l'intérieur. Cette liste sera secrète et non soumise à des contrôles extérieurs. Là encore, c'est limpide. (Liste secrète, hein ?!)

Le prétexte

S'il ne fallait retenir qu'un prétexte bidon dans toute l'histoire des prétextes bidons, ce serait celui-là. La lutte contre la pédopornographie a beau être d'une pureté intentionnelle sans faille, elle n'en demeure pas moins un prétexte. LE prétexte en fait, puisque les opposants à la loi prennent le risque d'écoper d'une réputation de sympathisant pédophile.

Le hic, c'est que la mesure préconisée par cet article est totalement hors de propos. On sait déjà que tous les systèmes de blocage sont contournables. Cela vaut a fortiori pour des types qui ont déjà l'habitude des pratiques illégales et discrètes sur le Net. Au mieux, cette mesure posera une bâche sur le tas de fumier. On verra un peu moins le tas de fumier, mais on aura toujours l'odeur et les mouches.

Et comme il ne suffit pas que cette mesure soit inefficace, elle court-circuite allégrement le cycle judiciaire — j'entends quelque chose du genre enquête-jugement-décision. Le blocage sera une décision administrative. Point. Le ministère de l'intérieur vient tout bêtement de se doter d'une loi lui permettant de censurer librement (excusez l'oxymore) le Net.

En résumé, la mesure est inefficace sur son objectif initial, mais elle constitue une fameuse arme politique... Je vous le donne Émile (bad taste inside), et si la pédopornographie n'était qu'un prétexte ?

La faille

Des mesures inefficaces, on en a déjà plein, ce n'est pas le problème. Je parlais plus haut d'une arme politique, et ce n'est pas si fantasque que ça en a l'air. Cette mesure de censure pourrait être astucieusement recyclée.

Concrètement, avant cette loi, la censure administrative du Net était une chose difficile à justifier — dans un pays démocratique j'entends. Difficile, dans un pays qui garantit la liberté d'expression et la liberté de la presse, de censurer impunément Internet. Maintenant, grâce à cette loi et sous couvert de son prétexte bidon, la censure du Net est plus ou moins admise. Voilà donc une jolie faille dans la sacro-sainte neutralité du réseau (pas sacro-sainte pour tout le monde).

Il y a désormais une administration entre nous et Internet. Officiellement, elle s'occupe de bloquer tout ce qui ressemble à de la pédopornographie. (Notez bien ce qui ressemble, puisque la décision n'est pas prise par un juge.) La faille, c'est qu'aucun mécanisme de contrôle n'est prévu. On peut théoriquement faire bloquer n'importe quoi à cette administration. Et si le but réel de cette loi n'était que d'ouvrir une porte — une faille — vers une censure généralisée ?

Les conséquences

Le plus édifiant dans cette histoire, c'est qu'il existe un précédent. Un dispositif similaire a déjà été mis en place en Australie — pays qu'on s'accorde à considérer comme une démocratie, faut-il le rappeler. Leur liste noire était également secrète, mais elle fut tout de même révélée par Wikileaks. Et curieusement, on y trouva quantité de sites sans rapport avec le cadre de censure initial (à savoir la pornographie). Vraiment curieux.

Sans être madame Irma, on peut donc s'attendre à des abus. C'est déjà grave en soit, mais il y a pire. En France, on préfère spolier en toute légalité. Il n'est pas du tout exclu que cet article soit amendé.

Par exemple, puisque la liaison amoureuse entre le gouvernement et les majors du disque est officielle (HADOPI que ça s'appelle), on pourrait censurer la pédopornographie ET les sites des streaming illégaux. Après tout, les pirates sont des criminels au même titre que les pédophiles.

Dans la foulée, on se passera de Wikileaks, des sites de poker non homologués, et de la page Youtube du PS (parce qu'il y a plus de vidéos que sur celle de l'UMP, et qu'il faut respecter les temps de parole).

Conclusion

Ce billet n'est qu'un triste constat, puisque la loi est déjà adoptée. Il y a donc désormais une loi liberticide de plus en France. L'Internet civilisé arrive, et il risque de faire quelques bobos à la liberté d'expression. Dernièrement, la France est entrée dans la liste des pays sous surveillance concernant la cyber-censure (liste établie par Reporters Sans Frontières). Marrant pour une démocratie.

Sources

Crédit photo : tornad3 (Creative Commons By-Sa).

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